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Liste des sujets corriges de
commentaires de textes
"La
route en lacets qui monte. Belle image du progrès. Mais
pourtant elle ne me semble pas bonne. Ce que je vois de
faux, dans cette image, c'est cette route tracée d'avance
et qui monte toujours; cela veut dire que l'empire des sots
et des violents nous pousse encore vers une plus grande
perfection, quelles que soient les apparences; et qu'en
bref l'humanité marche à son destin par tous moyens, et
souvent fouettée et humiliée, mais avançant toujours. Le
bon et le méchant, le sage et le fou poussent dans le même
sens, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le sachent ou non.
Je reconnais ici le grand jeu des dieux supérieurs, qui
font que tout serve leurs desseins. Mais grand merci. Je
n'aimerais point cette mécanique, si j'y croyais. Tolstoï
aime aussi à se connaître lui-même comme un faible atome
en de grands tourbillons. Et Pangloss, avant ceux-là, louait
la Providence, de ce qu'elle fait sortir un petit bien de
tant de maux. Pour moi, je ne puis croire à un progrès fatal;
je ne m'y fierais point."
Alain
Commentaire
d'un texte d'Alain sur autrui
Arendt Hannah
"
C'est l'avènement de l'automatisation qui, en quelques décennies,
probablement videra les usines et libérera l'humanité de
son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau
du travail, l'asservissement à la nécessité. (...)
C'est
une société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes
du travail, et cette société ne sait plus rien des activités
plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait
la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui
est égalitaire, car c'est ainsi que le travail fait vivre
ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d'aristocratie
politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration
des autres facultés de l'homme. Même les présidents, les
rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions
des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi
les intellectuels il ne reste que quelques solitaires pour
considérer ce qu'ils font comme des oeuvres et non comme
des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant
nous, c'est la perspective d'une société de travailleurs
sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui
leur reste. On ne peut rien imaginer de pire."
Hannah
Arendt, La condition del'homme moderne
Aristote
Aristote,
Physique, Livre IV
"Ce
fut l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers
penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, ce furent
les difficultés les plus apparentes qui les frappèrent,
puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils cherchèrent à résoudre
des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de
la Lune, ceux du Soleil et des Etoiles, enfin la genèse
de l'Univers. Apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est
reconnaître sa propre ignorance (et c'est pourquoi aimer
les mythes est, en quelque manière se montrer philosophe,
car le mythe est composé de merveilleux). Ainsi donc, si
ce fut pour échapper à l'ignorance que les premiers philosophes
se livrèrent à la philosophie, il est clair qu'ils poursuivaient
la science en vue de connaître et non pour une fin utilitaire.
Ce qui s'est passé en réalité en fournit la preuve : presque
tous les arts qui s'appliquent aux nécessités, et ceux qui
s'intéressent au bien- être et à l'agrément de la vie, étaient
déjà connus, quand on commença à rechercher une discipline
de ce genre. Il est donc évident que nous n'avons en vue,
dans la philosophie, aucun intérêt étranger. Mais, de même
que nous appelons homme libre celui qui est à lui- même
sa fin et n'est pas la fin d'autrui, ainsi cette science
est aussi la seule de toutes les sciences qui soit libre,
car seule elle est sa propre fin."
Aristote
Bataille
G.
Le
travail exige une conduite où le calcul de l'effort, rapporté
à l'activité productive, est constant. Il existe une conduite
raisonnable, où les mouvements tumultueux qui se délivrent
dans la fête, et, généralement, dans le jeu, ne sont pas
de mise. Si nous ne pouvions réfréner ces mouvements, nous
ne serions pas susceptibles de travail, mais le travail
introduit justement la raison de les réfréner. Ces mouvements
donnent à ceux qui leur cèdent une satisfaction immédiate:
le travail au contraire promet à ceux qui les dominent un
profit ultérieur, dont l'intérêt ne peut être discuté, sinon
du point de vue du moment présent (...).
Il est arbitraire, sans doute, de toujours opposer le détachement,
qui est à la base du travail, à des mouvements tumultueux
dont la nécessité n'est pas constante. Le travail commencé
crée néanmoins une possibilité de répondre à ces sollicitations
immédiates, qui peuvent nous rendre indifférents à des résultats
souhaitables, mais dont l'intérêt ne touche que le temps
ultérieur. La plupart du temps, le travail est l'affaire
d'une collectivité, et la collectivité doit s'opposer, dans
le temps réservé au travail, à ces mouvements d'excès contagieux,
dans lesquels rien n'existe plus que l'abandon immédiat
à l'excès. C'est-à-dire la violence. Aussi bien la collectivité
humaine, en partie consacrée au travail, se définit-elle
par des interdits, sans lesquels elle ne serait pas devenue
ce monde du travail, qu'elle est essentiellement.
G.
Bataille, L'érotisme (1957), 10-18, pp. 46-47
Bergson
"
La philosophie n'est pas l'art, mais elle a avec l'art
de profondes affinités. Qu'est-ce que l'artiste? C'est un
homme qui voit mieux que les autres car il regarde la réalité
nue et sans voile. Voir avec des yeux de peintre, c'est
voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons
un objet, d'habitude, nous ne le voyons pas; parce que ce
que nous voyons, ce sont des conventions interposées entre
l'objet et nous; ce que nous voyons, ce sont des signes
conventionnels qui nous permettent de reconnaître l'objet
et de le distinguer pratiquement d'un autre, pour la commodité
de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions,
celui qui méprisera l'usage pratique et les commodités de
la vie et s'efforcera de voir directement la réalité même,
sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un
artiste. Mais ce sera aussi un philosophe, avec cette différence
que la philosophie s'adresse moins aux objets extérieurs
qu'à la vie intérieure de l'âme."
"Quand
je suis des yeux, sur le cadran d'une horloge, le mouvement
de l'aiguille qui correspond aux oscillations du pendule,
je ne mesure pas de la durée, comme on paraît le croire;
je me borne à compter des simultanéités, ce qui est bien
différent. En dehors de moi, dans l'espace, il n'y a jamais
qu'une position unique de l'aiguille et du pendule, car
des positions passées, il ne reste rien. Au-dedans de moi,
un processus d'organisation ou de pénétration mutuelle des
faits de conscience se poursuit, qui constitue la durée
vraie. C'est parce que je dure de cette manière que je me
représente ce que j'appelle les oscillations passées du
pendule, en même temps que je perçois l'oscillation actuelle.
Or, supprimons pour un instant le moi qui pense ces oscillations
du pendule, une seule position même de ce pendule, point
de durée par conséquent. Supprimons, d'autre part, le pendule
et ses oscillations; il n'y aura plus que la durée hétérogène
du moi, sans moments extérieurs les uns aux autres, sans
rapport avec le nombre. Ainsi, dans notre moi, il y succession
sans extériorité réciproque; en dehors du moi, extériorité
réciproque sans succession. "
Commentaire
d'un texte de Bergson sur la vérité
Cournot
"
Ce qu'on appelle de nos jours la philosophie de l'histoire
consiste évidemment, non dans la recherche des causes
qui ont amené chaque événement historique au gré et selon
les affections variables des personnages agissants, mais
dans l'étude des rapports et des lois générales qui rendent
raison du développement des faits historiques pris dans
leur ensemble, et abstraction faite des causes variables
qui, pour chaque fait en particulier, ont été les forces
effectivement agissantes. Telle province a été successivement
conquise, perdue et reconquise, selon le hasard des batailles
; mais on aperçoit dans la configuration géographique du
pays, dans la direction des fleuves, des bras de mer et
des chaînes de montagnes, dans la ressemblance ou la différence
des races, des idiomes, des mours, des institutions religieuses
et civiles, des intérêts commerciaux, les raisons qui devaient
amener, un peu plus tôt ou un peu plus tard, la réunion
ou la séparation définitive de la province. Des causes fortuites,
telles que l'énergie ou la faiblesse, l'habileté ou la maladresse
de certains personnages, font échouer ou réussir une conspiration
; souvent même l'écrivain curieux de détails anecdotiques
prendra plaisir à mettre en relief la petitesse des causes
qui ont amené l'événement ; mais la raison du philosophe
ne se contentera point de pareilles explications, et elle
ne sera pas satisfaite qu'elle n'ait trouvé dans les vices
de la constitution d'un gouvernement, non point la cause
proprement dite, mais l'explication véritable, la vraie
raison de la catastrophe dans laquelle il a péri. "
Cournot,
Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les
caractères de la critique philosophique (1851)
Epictète
Voici
le point de départ de la philosophie : la conscience du
conflit qui met aux prises les hommes entre eux, la
recherche de l'origine de ce conflit, la condamnation de
la simple opinion et la défiance à son égard, une sorte
de critique de l'opinion pour déterminer si on a raison
de la tenir, l'invention d'une norme, de même que nous avons
inventé la balance pour la détermination du poids, ou le
cordeau pour distinguer ce qui est droit et ce qui est tordu.
Est-ce
là le point de départ de la philosophie ? Est juste tout
ce qui paraît tel à chacun. Et comment est-il possible que
les opinions qui se contredisent soient justes ? Par conséquent,
non pas toutes. Mais celles qui nous paraissent à nous justes
? Pourquoi à nous plutôt qu'aux Syriens, plutôt qu'aux Égyptiens
? Plutôt que celles qui paraissent telles à moi ou à un
tel ? Pas plus les unes que les autres. Donc l'opinion de
chacun n'est pas suffisante pour déterminer la vérité. Nous
ne nous contentons pas non plus quand il s'agit de poids
ou de mesures de la simple apparence, mais nous avons inventé
une norme pour ces différents cas. Et dans le cas présent,
n'y a-t-il donc aucune norme supérieure à l'opinion ? Et
comment est-il possible qu'il n'y ait aucun moyen de déterminer
et de découvrir ce qu'il y a pour les hommes de plus nécessaire
? Il y a donc une norme. Alors, pourquoi ne pas la chercher
et ne pas la trouver, et après l'avoir trouvée, pourquoi
ne pas nous en servir par la suite rigoureusement, sans
nous en écarter d'un pouce ?
Epictète,
Entretiens
Epicure
Accoutume-toi
sur ce point à penser que pour nous la mort n'est rien,
puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation,
et que la mort est privation de nos sensations. Dès lors
la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien
autorise à jouir du caractère mortel de la vie: non pas
en lui conférant une durée infinie, mais en l'amputant du
désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant
dans le fait de vivre, pour qui est radicalement conscient
qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de
ne pas vivre.
Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non
parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre
à l'idée qu'elle approche. Ce dont l'existence ne gêne point,
c'est vraiment pour rien qu'on souffre de l'attendre ! Le
plus effrayant des maux, la mort, ne nous est rien, disais-je
: quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort
est là, c'est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne
donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour
les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus.
Epicure
Freud
"
Une violente répression d'instincts puissants exercée de
l'extérieur n'apporte jamais pour résultat l'extinction
ou la domination de ceux-ci, mais occasionne un refoulement
qui installe la propension à entrer ultérieurement dans
la névrose. La psychanalyse a souvent eu l'occasion d'apprendre
à quel point la sévérité indubitablement sans discernement
de l'éducation participe à la production de la maladie nerveuse,
ou au prix de quel préjudice de la capacité d'agir et de
la capacité de jouir la normalité exigée est acquise. Elle
peut aussi enseigner quelle précieuse contribution à la
formation du caractère fournissent ces instincts associaux
et pervers de l'enfant, s'ils ne sont pas soumis au refoulement,
mais sont écartés par le processus dénommé sublimation de
leurs buts primitifs vers des buts plus précieux. Nos meilleures
vertus sont nées comme formations réactionnelles et sublimations
sur l'humus de nos plus mauvaises dispositions. L'éducation
devrait se garder soigneusement de combler ces sources de
forces fécondes et se borner à favoriser les processus par
lesquels ces énergies sont conduites vers le bon chemin.
"
Freud
"
Il ne paraît pas qu'on puisse amener l'homme par quelque
moyen que ce soit à troquer sa nature contre celle d'un
termite ; il sera toujours enclin à défendre son droit à
la liberté individuelle contre la volonté de la masse. Un
bon nombre de luttes au sein de l'humanité se livrent et
se concentrent autour d'une tâche unique : trouver un équilibre
approprié, donc de nature à assurer le bonheur de tous,
entre ces revendications de l'individu et les exigences
culturelles de la collectivité. Et c'est l'un des problèmes
dont dépend le destin de l'humanité que de savoir si cet
équilibre est réalisable au moyen d'une certaine forme de
civilisation, ou bien si au contraire ce conflit est insoluble.
"
Freud
Hamelin
"La
caractéristique véritable de l'activité technique, c'est
que pour elle l'obtention du résultat qu'elle poursuit est
tout; sans doute le résultat est subordonné au besoin
du sujet, et sous ce rapport un art ne s'attache pas seulement
à la réalisation d'une oeuvre objective. Mais d'une part
l'activité technique prend le besoin comme un fait, n'en
examine pas la valeur, et d'autre part, le besoin n'est
pour elle qu'une condition extrinsèque et préalable. Un
résultat étant donné comme but, la tâche propre de l'activité
technique vient ensuite, et consiste à procurer le résultat.
Plusieurs remarques aisées constituent autant de conséquences
et de preuves de cette affirmation. Si le résultat n'est
pas atteint, l'activité qui l'a poursuivi, quels que puissent
être d'ailleurs ses mérites, est, techniquement parlant,
de nulle valeur. Si l'activité morale ne peut jamais produire
qu'un acte, si l'activité esthétique peut s'exprimer, mais
n'est pas tenue de s'exprimer dans une oeuvre extérieure
objective, l'activité technique trouve son type le plus
achevé dans les arts qui fabriquent un objet. Enfin et surtout
le résultat est tellement la seule chose qui importe dans
l'activité technique qu'il peut indifféremment être obtenu
par les méthodes les plus indirectes et les plus gauches
pourvu que ces méthodes répondent à des considérations d'utilité,
et par exemple de moindre dépense. Quand cette imperfection
des méthodes serait un fait accidentel et tout humain, elle
n'en était pas moins sur la voie du caractère interne et
absolu que nous avons à coeur de bien saisir. En somme obtenir
le plus de résultats possibles, le plus commodément possible,
c'est à dire en empêchant le moins possible l'obtention
de résultats dans d'autres séries techniques, voilà la fin
et l'essence de tout art. "
Hamelin,
Essai sur les éléments principaux de la représentation,
1907
Hume
"Il
semble, à première vue, que de tous les animaux qui peuplent
le globe terrestre, il n'y en ait pas un à l'égard duquel
la nature ait usé de plus de cruauté qu'envers l'homme :
elle l'a accablé de besoins et de nécessités innombrables
et l'a doté de moyens insuffisants pour y subvenir. Chez
les autres créatures, ces deux éléments se compensent l'un
l'autre. Si nous regardons le lion en tant qu'animal carnivore
et vorace, nous aurons tôt fait de découvrir qu'il est très
nécessiteux (1) ; mais si nous tournons les yeux vers sa
constitution et son tempérament, son agilité, son courage,
ses armes et sa force, nous trouverons que ses avantages
sont proportionnés à ses besoins. Le mouton et le bouf sont
privés de tous ces avantages, mais leurs appétits sont modérés
et leur nourriture est d'une prise facile. Il n'y a que
chez l'homme que l'on peut observer à son plus haut degré
d'achèvement cette conjonction (.) de la faiblesse et du
besoin. Non seulement la nourriture, nécessaire à sa subsistance,
disparaît quand il la recherche et l'approche ou, au mieux,
requiert son labeur pour être produite, mais il faut qu'il
possède vêtements et maison pour se défendre des dommages
du climat ; pourtant, à le considérer seulement en lui-même,
il n'est pourvu ni d'armes, ni de force, ni d'autres capacités
naturelles qui puissent à quelque degré répondre à tant
de besoins.
Ce
n'est que par la société qu'il est capable de suppléer à
ses déficiences et de s'élever à une égalité avec les autres
créatures, voire d'acquérir une supériorité sur elles. Par
la société, toutes ses infirmités sont compensées et, bien
qu'en un tel état ses besoins se multiplient sans cesse,
néanmoins ses capacités s'accroissent toujours plus et le
laissent, à tous points de vue, plus satisfait et plus heureux
qu'il ne pourrait jamais le devenir dans sa condition sauvage
et solitaire."
Hume
Kant
"
Lorsque Galilée fit rouler ses boules sur le plan incliné
avec un degré d'inclinaison qu'il avait lui-même choisi,
ou que Torricelli fit porter à l'air un poids qu'il savait
d'avance égal à une colonne d'eau de lui connue, ou qu'à
une époque postérieure, Stahl transforma des matériaux en
chaux et celle-ci à son tour en métal en leur ôtant ou en
leur restituant quelque chose, alors une lumière se leva
pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne
perçoit que ce qu'elle produit elle-même d'après son propre
plan, qu'elle doit prendre les devants avec les principes
qui commandent ses jugements selon des lois fixes et forcer
la nature à répondre à ses questions, mais ne pas se laisser
mener par elle comme à la lisière, car, sinon, les observations,
faites au hasard, sans plan tracé à l'avance, ne se rattacheraient
pas à une loi nécessaire, ce que la raison pourtant recherche
et exige. La raison doit se présenter à la nature avec,
dans une main, ses principes selon lesquels seule la concordance
des phénomènes peut avoir l'autorité des lois, et, dans
l'autre l'expérimentation qu'elle a conçue d'après ces principes,
certes pour être instruite par elle, non pourtant à la façon
d'un écolier qui se laisse souffler tout ce que le maître
veut, mais à celle d'un juge en fonction, qui force les
témoins à répondre aux questions qu'il leur pose. Ainsi
donc la physique est redevable de la révolution si profitable
opérée dans sa manière de penser uniquement à l'idée qu'elle
doit, conformément à ce que la raison elle-même met dans
la nature, rechercher en elle (et non lui attribuer indûment)
ce qu'elle doit en apprendre et dont d'elle-même elle ne
pourrait rien savoir. Telle est la voie par laquelle la
science de la nature pour la première fois s'est engagée
sur le chemin sûr d'une science, alors que pendant tant
de siècles elle n'avait pas dépassé de simples tâtonnements."
Kant,
Préface de la seconde édition de la Critique de la Raison
pure
"
On ne doit pas s'attendre à ce que les rois se mettent à
philosopher, ou que des philosophes deviennent rois ; ce
n'est pas non plus désirable parce que détenir le pouvoir
corrompt inévitablement le libre jugement de la raison.
Mais que des rois ou des peuples rois (qui se gouvernent
eux-mêmes d'après des lois d'égalité) ne permettent pas
que la classe des philosophes disparaisse ou devienne muette,
et les laissent au contraire s'exprimer librement, voilà
qui est aux uns comme aux autres indispensable pour apporter
de la lumière à leurs affaires, et parce que cette classe,
du fait de son caractère même, est incapable de former des
cabales et de se rassembler en clubs, elle ne peut être
suspectée d'être accusée de propagande. "
Kant
Kant,
Anthropologie d'un point de vue pragmatique
Malraux
André
Il
est impossible de concevoir le Musée comme historique. Pour
un peintre du moins. Ce serait simplement ridicule. Vous
vous imaginez un peintre qui arrive devant le Musée en considérant
chaque salle comme un produit? Les colonies produisent des
bananes... Le XVIe siècle produit l'art du XVIe siècle ?
C'est dément ! Il est bien entendu que pour n'importe quel
peintre, ce qui compte de l'art du passé est présent...
J'avais pris l'exemple du saint : pour celui qui prie, le
saint a son point d'appui dans une vie historique. Mais
il a une autre vie au moment où on est en train de le prier
: quand on le prie, il est présent. En somme, le saint est
dans trois temps : il est dans son éternité, il est dans
son temps historique ou chronologique, et il est dans le
présent. Pour moi, ce serait presque la réponse à la question
« qu'est-ce pour vous qu'une ouvre d'art ? » C'est une ouvre
qui a un présent. Alors que tout le reste du passé n'a pas
de présent. Alexandre a une légende, il a une histoire,
mais il n'a pas de présent. Vous sentez bien que vous ne
pouvez pas ressentir de la même façon une peinture de Lascaux
et un silex taillé. Le silex taillé est dans l'histoire
chronologique. Le bison peint y est aussi, mais en même
temps, il est ailleurs.
André
Malraux, Lazare. Le Miroir des Limbes. Éd. Gallimard, 1974.
Marx K.
«Le
travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme
et la nature. L'homme y joue lui-même vis-à-vis de
la nature le rôle de puissance naturelle. Les forces dont
son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les
met en mouvement, afin de s'assimiler des matières en leur
donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit
par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie,
il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui
y sommeillent. Nous ne nous arrêtons pas à cet état primordial
du travail où il n'a pas encore dépouillé son mode purement
instinctif. Notre point de départ, c'est le travail sous
une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée
fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand,
et l'abeille confond par la structure de ses cellules de
cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue
dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus
experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête
avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel
le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination
du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement
de forme dans les matières naturelles; il y réalise du même
coup son propre but dont il a conscience, qui détermine
comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner
sa volonté.»
K.
Marx, Capital, Livre I
Kierkegaard
"
Le sérieux comprend que si la mort est une nuit, la vie
est le jour, que si l'on ne peut travailler la nuit, on
peut agir le jour, et comme le mot bref de la mort, l'appel
concis, mais stimulant de la vie, c'est: aujourd'hui même.
Car la mort envisagée dans le sérieux est une source d'énergie
comme nulle autre; elle rend vigilant comme rien d'autre.
La mort incite l'homme charnel à dire : "Mangeons et
buvons, car demain, nous mourrons". Mais c'est là le
lâche désir de vivre de la sensualité, ce méprisable ordre
des choses où l'on vit pour manger et boire, et où l'on
ne mange ni ne boit pour vivre. L'idée de la mort amène
peut-être l'esprit plus profond à un sentiment d'impuissance
où il succombe sans aucun ressort ; mais à l'homme animé
de sérieux, la pensée de la mort donne l'exacte vitesse
à observer dans la vie, et elle lui indique le but où diriger
sa course. Et nul arc ne saurait être tendu ni communiquer
à la flèche sa vitesse comme la pensée de la mort stimule
le vivant dont le sérieux tend l'énergie. Alors le sérieux
s'empare de l'actuel aujourd'hui même; il ne dédaigne aucune
tâche comme insignifiante; il n'écarte aucun moment comme
trop court. "
Kierkegaard
Merleau-Ponty
"
L'usage qu'un homme fera de son corps est transcendant à
l'égard de ce corps comme être simplement biologique. Il
n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier
dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler
table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles
sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité,
paraissent inscrits dans le corps humain sont en réalité
des institutions. Il est impossible de superposer chez l'homme
une première couche de comportements que l'on appellerait
"naturels" et un monde culturel ou spirituel fabriqué.
Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme, comme
on voudra dire, en ce sens qu'il n'est pas un mot, pas une
conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement
biologique - et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité
de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites
vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de
l'équivoque qui pourraient servir à définir l'homme. "
Merleau-Ponty,
Phénoménologie de la perception (1945)
Nietzsche
«
Il me semble de plus en plus que le philosophe, étant nécessairement
l'homme de demain ou d'après demain, s'est de tout temps
trouvé en contradiction avec le présent; il a toujours eu
pour ennemi l'idéal du jour. Tous ces extraordinaires pionniers
de l'humanité qu'on appelle des philosophes et qui eux mêmes
ont rarement cru être les amis de la sagesse mais plutôt
des fous déplaisants et de dangereuses énigmes, se sont
toujours assigné une tâche dure, involontaire, inéluctable,
mais dont ils ont fini par découvrir la grandeur, celle
d'être la mauvaise conscience de leur temps. [...]
En
présence d'un monde d'"idées modernes" qui voudrait
confiner chacun de nous dans son coin et dans sa "
spécialité", le philosophe, s'il en était encore de
nos jours, se sentirait contraint de faire consister la
grandeur de l'homme et la notion même de la "grandeur"
dans l'étendue et la diversité des facultés, dans la totalité
qui réunit des traits multiples; il déterminerait même la
valeur et le rang d'un chacun d'après l'ampleur qu'il saurait
donner à sa responsabilité. Aujourd'hui la vertu et le goût
du jour affaiblissent et diluent le vouloir, rien n'est
plus à la mode que la débilité du vouloir. »
NIETZSCHE,
Par-delà le bien et le mal, § 212
Pascal
"Qu'est-ce
que le moi ?"
Platon
SOCRATE
- "J'imagine, Gorgias, que tu as eu, comme moi, l'expérience
d'un grand nombre d'entretiens. Et, au cours de ces entretiens,
sans doute auras-tu remarqué la chose suivante : les interlocuteurs
ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de
discuter et à conclure leur discussion après s'être l'un
et l'autre mutuellement instruits. Au contraire, s'il arrive
qu'ils soient en désaccord sur quelque chose, si l'un déclare
que l'autre se trompe ou parle d'une façon confuse, ils
s'irritent l'un contre l'autre, et chacun d'eux estime que
son interlocuteur s'exprime avec mauvaise foi, pour avoir
le dernier mot, sans chercher à savoir ce qui est au fond
de la discussion. Il arrive même parfois qu'on se sépare
de façon lamentable : on s'injurie, on lance les mêmes insultes
que l'on reçoit, tant et si bien que les auditeurs s'en
veulent d'être venus écouter pareils individus. Te demandes-tu
pourquoi je te parle de cela ? Parce que j'ai l'impression
que ce que tu viens de dire n'est pas tout à fait cohérent,
ni parfaitement accordé avec ce que tu disais d'abord au
sujet de la rhétorique. Et puis, j'ai peur de te réfuter,
j'ai peur que tu penses que l'ardeur qui m'anime vise, non
pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion,
mais bien à te critiquer ? Alors écoute, si tu es comme
moi, j'aurai plaisir à te poser des questions, sinon je
renoncerai.
Veux-tu savoir quel type d'homme je suis ? Eh bien, je suis
quelqu'un qui est content d'être réfuté, quand ce que je
dis est faux, quelqu'un qui a aussi plaisir à réfuter quand
ce qu'on me dit n'est pas vrai, mais auquel il ne plaît
pas moins d'être réfuté que de réfuter. En fait, j'estime
qu'il y a plus grand avantage à être réfuté que de réfuter,
dans la mesure où se débarrasser du pire des maux fait plus
de bien qu'en délivrer autrui. Parce qu'à mon sens, aucun
mal n'est plus grave pour l'homme que de se faire une fausse
idée des questions dont nous parlons en ce moment. Donc,
si toi, tu m'assures que tu es comme moi, discutons ensemble
; sinon, laissons tomber cette discussion, et brisons-là."
Platon,
Gorgias (457d-458a)
Rousseau
"
Quoi qu'en disent les moralistes, l'entendement humain doit
beaucoup aux passions, qui, d'un commun aveu, lui doivent
beaucoup aussi. C'est par leur activité que notre raison
se perfectionne; nous ne cherchons à connaître que parce
que nous désirons jouir; et il n'est pas possible de concevoir
pourquoi celui qui n'aurait ni désirs ni craintes se donnerait
la peine de raisonner. Les passions à leur tour tirent leur
origine de nos besoins et leur progrès de nos connaissances.
Car on ne peut désirer ou craindre les choses que sur les
idées qu'on en peut avoir, ou par la simple impulsion de
la nature; et l'homme sauvage, privé de toute sorte de lumière,
n'éprouve que les passions de cette dernière espèce. Ses
désirs ne passent point ses besoins physiques; les seuls
maux qu'il craigne sont la douleur et la faim. Je dis la
douleur, et non la mort; car jamais l'animal ne saura ce
que c'est que mourir; et la connaissance de la mort et de
ses terreurs est une des premières acquisitions que l'homme
ait faites en s'éloignant de la condition animale. "
Rousseau,
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité
parmi les hommes
"
C'est une erreur de distinguer les passions en permises
et défendues, pour se livrer aux premières et se refuser
aux autres. Toutes sont bonnes quand on en reste le maître,
toutes sont mauvaises quand on s'y laisse assujettir. Ce
qui nous est défendu par la nature, c'est d'étendre nos
attachements plus loin que nos forces; ce qui nous est défendu
par la raison, c'est de vouloir ce que nous ne pouvons obtenir;
ce qui nous est défendu par la conscience n'est pas d'être
tentés, mais de nous laisser vaincre aux tentations. Il
ne dépend pas de nous d'avoir ou de n'avoir pas de passions,
mais il dépend de nous de régner sur elles. Tous sentiments
que nous dominons sont légitimes, tous ceux qui nous dominent
sont criminels. Un homme n'est pas coupable d'aimer la femme
d'autrui, s'il tient cette passion malheureuse asservie
à la loi du devoir; il est coupable d'aimer sa propre femme
au point d'immoler tout à son amour."
ROUSSEAU
Sartre
Il
arrive qu'un asservissement total de l'être aimé tue l'amour
de l'amant. Le but est dépassé : l'amant se retrouve seul
si l'aimé s'est transformé en automate. Ainsi l'amant ne
désire-t-il pas posséder l'aimé comme on possède une chose
: il réclame un type spécial d'appropriation. Il veut posséder
une liberté comme liberté. Mais, d'autre part, il ne saurait
se satisfaire de cette forme éminente de la liberté qu'est
l'engagement libre et volontaire. Qui se contenterait d'un
amour qui se donnerait comme pure fidélité à la foi jurée
? Qui donc accepterait de s'entendre dire : " Je vous
aime parce que je me suis librement engagé à vous aimer
et que je ne veux pas me dédire ; je vous aime par fidélité
à moi-même ? " Ainsi l'amant demande le serment et
s'irrite du serment. Il veut être aimé par une liberté et
réclame que cette liberté comme liberté ne soit plus libre.
Il veut à la fois que la liberté de l'Autre se détermine
elle-même à devenir amour - et cela, non point seulement
au commencement de l'aventure mais à chaque instant - et,
à la fois, que cette liberté soit captivée par elle-même,
qu'elle se retourne sur elle- même, comme dans la folie,
comme dans le rêve, pour vouloir sa captivité. Et cette
captivité doit être démission libre et enchaînée à la fois
entre nos mains. Ce n'est pas le déterminisme passionnel
que nous désirons chez autrui, dans l'amour, ni une liberté
hors d'atteinte : mais c'est une liberté qui joue le déterminisme
passionnel et qui se prend à son jeu.
Sartre,
l'Etre et le Néant, III, 3 pp. 434-435
Spinoza
L'État
et la liberté
"
Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire
qu'il appartienne à un autre que l'État est institué; au
contraire c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour
qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire
conserve, aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour
autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le
répète, la fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes
de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes
ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que
leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes
leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre,
pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse,
pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les
autres. La fin de l'État est donc en réalité la liberté.
"
Spinoza,
Traité théologico-politique, Ch. XX (GF p.329)
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