Henri Bergson, né en 1859 à Paris, fut un élève
aussi brillant en sciences qu'en lettres. Fort doué pour les mathématiques,
il s'engagea, néanmoins, dans la section « Lettres » de l'Ecole
normale supérieure, où il entra, en 1878, dans la même promotion
que Jean Jaurès .
Agrégé de philosophie en 1881, il soutient ses deux thèses
de doctorat en 1889. Sa thèse principale (soutenue le 27/12/1889) était
intitulée : "Essai sur les données immédiates de la
conscience ".
Bergson poursuit ainsi une carrière exemplaire qui le conduit à
un poste de maître de conférences à l'Ecole normale supérieure,
puis à une chaire au Collège de France ( 1900). Il exercera, par
ses cours du Collège, un prodigieux effet de fascination : Péguy,
Maritain et bien d'autres, viennent en ce haut lieu de l'esprit.
Bergson, qui a publié Matière et mémoire (1896), Le
rire (1899), L'évolution créatrice (1907), L'énergie spirituelle
(1919), obtient le prix Nobel de littérature en 1928. En 1932, il publie
Les deux sources de la morale et de la religion.
Attiré par le catholicisme, il renonce, néanmoins, à
se convertir, en raison de la montée de l'intolérance et des persécutions
antijuives. « Je me serais converti, écrit-il en 1937, si je n'avais
vu se préparer depuis des années la formidable vague d'antisémitisme
qui va déferler sur le monde. J'ai voulu rester parmi ceux qui seront
demain persécutés. »
Il meurt le 4 janvier 1941.
1 - Les racines
La réflexion de Bergson se rattache à de multiples sources
:
* Spencer (1820-1903), dont Bergson adopte la démarche précise,
soucieuse des faits, prolongeant celle de la science. "La démarche
de Spencer visait à prendre l'empreinte des choses et à se modeler
sur le détail des faits." , écrit Bergson (PM p. 2) ou encore
"Aujourd'hui encore je me rends compte de ce qui m'attirait chez Spencer,
c'était le caractère concret de son esprit, son désir de
ramener toujours l'esprit sur le terrain des faits." (C. Dubos, Journal
cité p. 1542 in Oeuvres - PUF) Bergson ajoute par ailleurs l'importance
de la perspective de l'évolution. Le développement des sciences
de la vie et de l'homme au XIXème siècle impose la considération
du changement et de l'évolution. Spencer, en introduisant au centre de
ses perspectives cette dernière notion, répond aux exigences de
l'époque. C'est sur ce point que Bergson insistera dans l'Evolution créatrice,
p. 362-363. Mais Bergson n'est pas un simple disciple de Spencer. Il a conscience
des insuffisances de la doctrine; celle-ci part des principes du mécanisme;
mais la culture scientifique de Spencer est médiocre et de ce fait la
base de sa doctrine fragile...
* William James (1842-1910), pour qui le vrai se définit par l'utile
: la vérité n'est pas seulement une connaissance théorique,
mais le fruit de nos moyens d'action et de notre pratique ;
* le spiritualisme français de Lachelier (1832-1918), mais aussi de
Ravaisson (1813-1900), auteur d'une thèse célèbre sur l'Habitude
(1839) ;
* plus profondément, la pensée de Bergson prend sa source dans
la mystique, à commencer - semble-t-il *- par celle de Plotin ;
* "Pour ne prendre qu'un seul exemple, Plotin, il nous paraît
maintenant assez clair qu'il n'existe entre Plotin et Bergson que des analogies
superficielles, nombreuses il est vrai; que Bergson n'a lu Plotin très
attentivement qu'après avoir écrit Matière et Mémoire
et pour préparer L'Évolution créatrice; qu'il avait d'ailleurs
hésité plusieurs fois, avant de lire Plotin à fond, sur
la question de savoir s'il s'agissait ou non d'un penseur influencé par
le judaïsme et le christianisme; qu'il a finalement tranché, en
connaissance de cause, pour le caractère purement hellénique et
même anti-oriental de Plotin; et qu'il n'a plus guère alors étudié
Plotin que pour deux raisons: d'une part examiner en détail le développement
d'une pensée diamétralement opposée à la sienne,
et, d'autre part, en tirer d'utiles suggestions cosmologiques; qu'il a surtout
pris, chez Plotin, ce qui vient des Stoïciens; que ce qui est plotinien
chez Bergson, c'est l'idée qu'il se fait de l'évolution de la
matière; qu'ainsi la conception de l'élan vital est à l'opposé
de ces processus plotiniens. La métaphysique plotinienne ne forme que
la moitié descendante de la cosmologie bergsonienne. Le seul vrai point
commun entre Bergson et Plotin se trouve dans un certain rapport de la vie philosophique
à la vie spirituelle et mystique. " (H. Hude, Bergson I, p. 14)
* Enfin, c'est contre le scientisme et le matérialisme de la fin du
XIXe siècle que Bergson a voulu ouvrir de nouveaux horizons spirituels.
2 - Les apports conceptuels
Hostile au positivisme scientiste et matérialiste, mais aussi aux
philosophies intellectualistes, Henri Bergson a voulu opérer un retour
aux données de l'intuition, coïncidence immédiate et spontanée
avec un objet, permettant d'atteindre l'être profond des choses, lequel
est durée pure et spirituelle, mais aussi liberté jaillissante.
Les concepts fondamentaux de la philosophie de Bergson sont les suivants
:
* la durée, conçue comme profondément opposée
au temps : la durée représente la succession même de l'esprit,
une interpénétration concrète, alors que le temps est une
idée mathématique (et spatiale) ;
* l'intuition, envisagée comme "sympathie par laquelle on se
transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce
qu'il a d'unique et d'inexprimable" (PM p. 181) ;
* L'art est défini par Bergson comme ayant pour but de provoquer une
telle intuition
Cf .in Les données immédiates de la conscience ce que dit Bergson
du sentiment du beau pp. 10-12
* l'élan vital, exigence de création et impulsion originelle
d'où est issue la vie : il fait surgir des réalités vivantes
toujours plus complexes.
J. Russe, Les chemins de la pensée, pp. 411-412
_________________________
+ Jugement de Michel Serres sur la philosophie de Bergson
+ Le spiritualisme de Bergson
+ Ce qui est constitutif du bergsonisme
Jugement de Michel Serres sur la philosophie de Bergson
- Mais prenons Bergson par exemple. Je prends maintenant les philosophes
mal aimés pour voir si notre discussion précédente permet
de bien tester l'histoire de la philosophie et lève donc bien la difficulté
majeure de lecture.
- Merci d'en parler. Bergson a posé de bons problèmes au bon
moment, souvent très en avance sur son temps.
- Pourtant il y a chez Bergson une conception de la réification, de
la géométrisation, qui est absolument contraire à votre
anthropologie des sciences ?
- Distinguons deux choses, ce qu'il dit et comment il le fait. Son analyse
critique de la métaphore solide est, à la lettre, sublime.
- C'est son style philosophique plutôt que les résultats qui
vous intéresse.
- Oui."
Éclaircissements, p. 225
Ce qui est constitutif du bergsonisme
"Quant à la structure, cette pensée est indubitablement
une philosophie biblique. Henri Bergson est un fils d'Israël, un croyant
du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, un disciple des prophètes dont
l'élan s'épanouira dans le Christ des évangiles. Cette
netteté structurale de sa pensée n'exclut nullement l'emprunt
de techniques philosophiques à la réflexivité cartésienne
ou à la méditation néo- platonicienne.
Toute entière centrée sur le problème de Dieu, qui se
trouve atteint d'abord par la voie intérieure: car la liberté
prouve Dieu, et c'est la portée de l'Essai sur les données immédiates
de la conscience. Dieu est atteint ensuite par la voie extérieure, dans
l'Evolution créatrice, puis par une troisième voie qui combine
les deux premières de manière originale tout en proposant le critère
d'un choix raisonnable entre les religions positives.
Les deux inflexions principales de cette philosophie se trouvent, l'une à
l'époque de Matière et Mémoire. C'est alors que Bergson
passe d'une problématique cartésienne, idéaliste par méthode,
à un réalisme post-critique d'inspiration aristotélico-stoïcienne;
l'autre inflexion se situe après l'Evolution Créatrice, époque
où la question de Dieu se repose à Bergson, non plus en termes
de science métaphysique à acquérir, mais en terme de foi
à donner."
H. Hude, les Cours de Bergson, in Bergson, naissance d'une philosophie PUF
p.31
Le spiritualisme de Bergson
"Ce qui ressort le plus manifestement de la lecture des Cours, c'est
que Bergson a toujours été spiritualiste, et d'un spiritualisme
théiste et créationniste au sens chrétien du mot. Nous
ne parlons pas ici des convictions religieuses de Bergson, en particulier de
celles qui l'habitaient en ses dernières années. On a exagéré
le catholicisme de Bergson. Mais on a aussi méconnu trop souvent, et
par un contresens véritablement diamétral, la signification tout
simplement judéo-chrétienne de sa métaphysique de la création."
H. Hude, Bergson I p.13
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