Chaque individu possède au moins
un désir, sinon une expérience, complète ou insatisfaisante, de ce qu'il nomme
liberté. Le concept est cependant difficile à définir, parce qu'il concerne des
domaines apparemment différents (de la liberté de penser à celle d'agir), mais
aussi parce que ses acceptions historiques sont variables.
L'expérience simple d'un
comportement libre enseigne qu'il n'est soumis à aucun empêchement : être libre,
c'est faire ce que l'on voulait - au sens où l'on en avait l'intention, et non
où il s'agirait de vouloir par exemple s'envoler par la fenêtre… On retrouve là
une signification première du terme qui, dans l'Antiquité, désigne bien le
statut du citoyen ou du maître, par opposition à l'esclave.
Cette inscription initiale de la
liberté dans la vie de la Cité fait de la liberté, comme le souligne Hegel, un
privilège : ce n'est pas encore l'homme en général qui est conçu comme libre.
Pour reconnaître que tout homme est libre par nature ou essence, il faudra que
le christianisme confirme les affirmations des Stoïciens, en faisant de la
liberté un principe spirituel ou moral. De cette liberté intérieure à la liberté
concrète, dans le réel, le chemin parcouru correspond pour Hegel au "long
processus qui constitue l'histoire elle-même". Loin d'être initialement donnée,
la liberté est le résultat d'une élaboration qui ne peut se manifester
pleinement qu'à la "fin" de l'histoire.
En affirmant que le sage doit être
indifférent relativement à ce qui survient, le stoïcisme délimite l'espace
intérieur d'une indépendance par rapport au monde et aux passions qu'il peut
susciter. C'est ouvrir la possibilité de conceptions et de débats que l'on
retrouve dans toute la philosophie classique. Ainsi, Descartes conçoit la
liberté comme pouvoir de choisir entre deux partis (c'est la "liberté
d'indifférence") sans subir aucune contrainte extérieure, mais il considère par
ailleurs que la connaissance du bien l'éclaire et l'aide à choisir. A l'inverse,
Leibniz nie la liberté d'indifférence, et Spinoza considère que la notion de
liberté n'est qu'une illusion, due à notre méconnaissance de ce qui nous
détermine.
Lorsque Kant postule l'existence
de la liberté dans l'homme, c'est parce que le choix moral nous révèle que notre
raison est bien non conditionnée. Il enrichit d'une dimension morale la
conception politique de Rousseau, affirmant que la liberté est "l'obéissance à
la loi qu'on s'est prescrite" (Contrat social, I, 8). Dans un cas comme dans
l'autre, c'est la vie en commun qui rend nécessaire de penser la relation entre
la liberté et la loi.
L'existentialisme sartrien néglige
d'abord la présence du social : la liberté de chacun est absolue. Mais elle
s'accompagne d'une écrasante responsabilité, puisque chaque choix individuel
engage une conception possible de l'humanité en général. La multiplicité des
choix individuels, toujours effectués en l'absence de normes ou de
transcendance, mène nécessairement à des conflits tels que, lorsque Sartre
éprouve le besoin d'orienter globalement les conduites dans l'histoire, il ne
trouve d'autre solution qu'un rapprochement avec le marxisme.
La liberté antique n'est rien de
plus que la possibilité d'être acteur dans la vie de la Cité : cette conception
nous apparaît aujourd'hui insuffisante. Être libre du point de vue politique et
social, cela signifie au moins bénéficier d'un certain nombre de droits
fondamentaux (liberté d'expression et d'opinion, sécurité des biens individuels)
garantis par la loi.
La liberté ne peut de ce point de
vue être assurée que si la loi correspond bien à l'expression de la "volonté
générale" - et c'est sur ce point que l'on rencontre de nouvelles difficultés.
La persistance, dans les sociétés modernes, d'un certain nombre d'inégalités,
économiques et sociales, oblige à se demander si, par exemple, le droit de vote
- qui constitue bien un aspect positif de la liberté - va nécessairement de pair
avec d'autres dimensions possibles de la liberté.
Déjà Marx reproche à Hegel de
s'illusionner sur la réalisation de la liberté qu'aurait constitué la Révolution
française, qui ne signifie à ses yeux rien de plus que la libération d'une
classe sociale (au détriment de la suivante). Dans cette optique, la liberté
serait plutôt à penser sous l'aspect d'une libération progressive, dont
l'achèvement serait, pour peu que l'on néglige les prévisions de Marx,
interminable. C'est dire que, relativement à la réalité politique, les libertés
acquises sont toujours à défendre, tandis que d'autres sont à revendiquer. Toute
la difficulté est alors d'admettre qu'une fois que l'État garantit aux citoyens
une absence effective de contrainte, on ne peut guère lui demander
davantage.
connectés
Déjà 7243
jours depuis la rentrée 2005-2006 au lycée !