Étymologiquement, la religion (du
latin religare ou religere : relier ou rassembler) désigne à la fois un ensemble
de croyances communes qui unit l'assemblée des fidèles à une divinité, et
l'ensemble des rites et cérémonies par lesquels s'établit la relation entre le
croyant et le divin.
Auguste Comte évoque l'existence
passée d'un "État théologique" comme première tentative, par l'humanité, pour
expliquer les phénomènes de la nature; cet État s'est réalisé en trois temps.
L'animisme affirme la présence de nombreux "esprits" dans la nature (investie en
totalité par le "surnaturel"). Le polythéisme ultérieur rassemble sur plusieurs
dieux la responsabilité des événements. Enfin, le monothéisme conçoit un Dieu
unique, créateur de tout ce qui existe, et dès lors doté d'une puissance
infinie. Cette "succession" reste cependant théorique : outre que subsistent
aujourd'hui des croyances totémiques correspondant à l'animisme, on constate par
exemple que le monothéisme chrétien n'a que très lentement remplacé le
polythéisme antique, après une période où les croyances, bien que d'origines
diverses, se mélangeaient.
Ce qui paraît toutefois constituer
le fonds commun de toutes les attitudes religieuses, c'est la distinction entre
l'univers sacré et le monde profane. Le sacré, simultanément attirant et
terrifiant (les forces qui s'y trouvent en jeu excèdent les possibilités
humaines), représente un espace de violence, et y accéder suppose le respect de
règles strictes (du sacrifice ancien aux cérémonies de l'Église), alors que le
profane - monde ordinaire de l'homme, de son travail et de sa culture - apparaît
plus paisible, mais insuffisant et déchiré périodiquement par le besoin d'un
contact avec le sacré.
La théologie fait son apparition
avec Aristote, qui élabore la première argumentation permettant d'affirmer
l'existence d'un "dieu", défini comme "premier moteur immobile", c'est-à-dire
source des mouvements (les modalités du devenir) constatés dans la nature. Dans
le projet d'harmoniser philosophie aristotélicienne et foi chrétienne qui
préoccupe la scolastique du Moyen Age, l'argumentation est déclinée par saint
Thomas d'Aquin en cinq "voies" vers Dieu.
C'est avec le christianisme que la
philosophie a dû entretenir des relations complexes. Au XIe siècle, saint
Anselme entend montrer dans son Proslogium que l'affirmation de Dieu est la
seule attitude compatible avec l'exercice de la raison. Dans ce contexte, la
philosophie est la "servante de la théologie", et c'est ce qu'elle reste pour
saint Thomas. Ultérieurement, Descartes affirme l'autonomie de la raison, qui
trouve ses vérités tandis que la foi concerne le salut de l'âme. C'est donc en
scrutant les idées présentes dans la raison (l'idée d'un être parfait, ou celle
d'infini) qu'il conçoit son argument "ontologique" - au terme duquel Dieu peut
être compris comme susceptible d'aider la raison à construire le vrai.
Au XVIIIe siècle, les preuves
philosophiques de l'existence de Dieu sont contestées. Kant montre que la preuve
ontologique implique une conception fausse de l'existence, et ne devrait en
conséquence affirmer que la seule possibilité de Dieu. Avant lui, Hume s'en est
pris aux arguments de la théologie "naturelle" de son époque : elle prétend
déduire l'existence de Dieu de considérations sur le monde naturel, sans jamais
recourir aux vérités révélées, mais condamne la raison à s'égarer dans de
fausses argumentations.
Hume suggère que la philosophie ne
devrait pas s'occuper de prouver Dieu, dont le concept "unique en son genre" (ce
qui est logiquement irrecevable : tout genre rassemble une pluralité
d'exemplaires) condamne à mal raisonner à son propos.
Il existe dans la foi des
"vérités" (les dogmes interdits d'examen, les mystères par nature
incompréhensibles) qui supposent un dépassement de l'examen rationnel. Même si
les philosophes parvenaient à démontrer l'existence de Dieu, il ne saurait être
confondu avec le "Dieu sensible au cœur" (Pascal) des croyants. L'expérience
religieuse authentique se vit dans un univers différent; elle suppose une
conviction intime, qui ne se soucie aucunement, comme l'affirme Kierkegaard, du
jeu mondain des "preuves" - quitte à surgir de l'angoisse elle-même, ou de
l'aveu de notre impuissance à comprendre.
Les rationalisations de la
croyance, tentées par Nietzsche, Marx ou Freud, ne peuvent entamer la foi.
Admettre que l'attitude religieuse implique une négation des pulsions de vie,
qu'elle ne témoigne que d'une misère matérielle ou qu'elle révèle une attitude
névrotique, peut participer d'une critique de la religion comme institution, ou
pouvoir temporel. Mais de telles critiques sont sans portée relativement à
l'expérience individuelle - effusion vers une transcendance ou sentiment de se
confondre avec le divin lui-même. La religion permet d'oublier la finitude de
l'existence humaine, et il semble qu'accepter cette dernière soit décidément
difficile.
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