"Citation"
Les païens ont bien connu qu'il y avait quelque divinité souveraine, mais ils ont toujours voulu avoir une garenne de petits dieux à leur
porte.
Calvin (Jean)
Au sens ordinaire, l'expérience
désigne l'ensemble des impressions que nous pouvons recevoir de notre milieu. Un
"homme d'expérience" est un individu qui, au cours des ans, a acquis des savoirs
lui permettant d'être éventuellement de bon conseil, ou de se comporter
convenablement en fonction des situations qu'il rencontre.
On peut noter que l'expérience est
d'abord reçue par l'esprit, qui est donc passif. Si elle "instruit", c'est aussi
bien par l'échec que par la réussite : je sais par expérience qu'il est inutile
que j'essaie de sauter au-delà de telle hauteur, ou qu'il m'est par contre
possible de démonter rapidement une roue d'automobile (en tout cas plus vite que
la première fois que j'ai dû le faire). L'expérience apporte donc un certain
enseignement, mais c'est à force de répétition, et sans véritablement proposer
une réponse à une question précise.
Cette expérience quotidienne peut
de surcroît être parfaitement trompeuse : je crois pouvoir dire, parce que je
l'ai constaté de nombreuses fois, que "le soleil se lève" - si je prends la
formule au sérieux, je suis dans l'erreur. Aussi la tradition rationaliste (de
Platon à Descartes) s'est-elle montrée hostile à l'expérience, synonyme
d'instabilité des apparences ou de tromperie par les sens : la vraie
connaissance se détourne de l'univers que nous livrent notre perception, et donc
nos expériences, pour se construire uniquement par des voies
rationnelles.
Se fier uniquement à la raison, en
évitant de s'intéresser aux phénomènes, a pourtant produit nombre de théories
fausses (les physiques d'Aristote et de Descartes), car la raison est tentée
d'opérer des déductions qui ne correspondent pas à ce qui a lieu dans la nature.
Déduire est fécond en mathématiques ( parce que le réel n'y intervient
aucunement), mais produit des erreurs lorsque la raison s'illusionne sur ses
capacités en prétendant deviner seule les lois de la nature. De ce point de vue,
Bertrand Russell considère que la science n'a pu progresser qu'à partir du
moment où elle s'est affranchie de l'influence d'Aristote, champion du
raisonnement déductif.
Cet affranchissement ne s'effectue
qu'au XVIIe siècle, lorsque Galilée conçoit la portée et les enseignements de
l'expérience scientifique. Il devient clair (progressivement, car la pratique
expérimentale est lente à se généraliser : Descartes y reste opposé) que, pour
découvrir les lois de la nature, il convient d'abord de l'interroger activement,
au lieu de se contenter de l'observer passivement. La nature ne révèle pas
spontanément son fonctionnement, elle ne "répond", comme le rappellera Kant,
qu'à des questions précises.
Claude Bernard a montré que
l'expérience elle-même ne constitue qu'un moment du raisonnement expérimental.
Celui-ci commence par une observation, qui n'a rien de commun avec la perception
banale : elle doit être à même de remarquer, dans un domaine scientifique,
l'existence d'un phénomène inexpliqué. Il lui faut donc être informée de l'état
actuel des connaissances.
A partir d'une analyse du
phénomène problématique, l'esprit élabore une hypothèse, ou "explication
anticipée" : il conçoit quelle causalité agit dans ce qu'il a observé.
Le montage expérimental (qui
suppose l'intervention d'un outillage éventuellement lourd et d'instruments -
notamment de mesure - qui sont, comme le montre Bachelard, autant de "théories
matérialisées") a pour objet de vérifier l'hypothèse. S'il échoue, on devra
évidemment proposer une autre hypothèse
La confirmation de l'hypothèse
permet de formuler, par induction, la loi à laquelle obéit le phénomène. En
droit, une expérience bien menée n'a pas besoin d'être répétée (mais la
complexité des expériences scientifiques contemporaines demande en général
qu'elles soient vérifiées dans des laboratoires différents), puisqu'on suppose
que tous les phénomènes obéissent à un fonctionnement constant ("les mêmes
causes entraînent les mêmes effets" : formule simple du déterminisme, qui fonde
la possibilité de l'induction).
Toute théorie scientifique
constitue l'articulation systématique d'un ensemble de lois. Ainsi, la théorie
de la gravitation inclut la loi classique de la chute des corps; elle a donc une
portée plus vaste ou générale que la loi particulière, qui n'en présente qu'une
sorte de conséquence ou d'application locale. De ce point de vue, l'élaboration
d'une théorie représente, dans les sciences dites expérimentales (physique,
chimie, biologie), l'achèvement de la connaissance scientifique.
Se pose alors la question de la
fonction de la théorie : est-elle une explication ou une simple représentation
d'un aspect du monde ou du "réel" ? Il faut ici préciser la nature de la vérité
scientifique, et la relation qu'elle peut entretenir avec le "réel".
Scientifiques et épistémologues considèrent que le réel est inaccessible à la
connaissance : la science n'a pas pour ambition de nous en livrer la clef, elle
cherche à en construire des représentations compatibles avec ce que nous en
percevons. La différence ainsi affirmée entre vérité et réalité rejoint celle
que proposait Kant entre l'ordre des phénomènes (qui nous est accessible) et
celui des noumènes (inconnaissable). La connaissance scientifique, parce qu'elle
dépend de nos moyens d'appréhension de la nature, ne peut rendre compte que des
phénomènes.
Une théorie physique est ainsi la
mise en forme mathématique, par transcription en symboles, d'un certain nombre
de propriétés simples des corps observés, reliées entre elles par des énoncés
mathématiques, qui servent de principes à des déductions ultérieures. Les
conséquences ainsi déduites sont enfin traduites en jugements concernant les
propriétés physiques des corps. Si ces jugements sont en concordance avec les
lois expérimentales que la théorie prétend représenter, celle-ci est bonne. Dans
le cas contraire, elle est fausse et doit être remaniée. De la sorte, "une
théorie vraie, ce n'est pas une théorie qui donne des apparences physiques une
explication conforme à la réalité; c'est une théorie qui représente d'une
manière satisfaisante un ensemble de lois expérimentales" (Pierre Duhem).
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