"Citation"
La vraie valeur d'un homme se détermine d'abord en examinant dans quelle mesure et dans quel sens il est parvenu à se libérer du Moi.
Einstein (Albert)
On évoquait autrefois l'existence
de "peuples sans histoire" - pour désigner ceux qui participent à ce qui est
aujourd'hui nommé histoire froide ou non cumulative, par opposition à l'histoire
chaude ou cumulative, vécue selon l'ordre linéaire, sinon d'un progrès, au moins
d'une évolution admise et valorisée.
L'homme a conscience de vivre dans
le temps, son passé acquiert donc de l'importance, mais il peut être reçu de
diverses façons : soit comme origine de règles et de valeurs qui doivent être
respectées et revécues (conscience mythique), soit comme désignant un état
antérieur de la société, dont le présent résulte, mais à la suite de nombreuses
transformations (conscience historique).
Le mythe ravive un passé peu
situable, mais il légitime ce qui en demeure; le récit historique reconstitue au
contraire un passé datable. S'il y découvre un point de départ du présent, c'est
en soulignant ce qui l'en sépare, et en se proposant d'expliquer les
transformations qui ont eu lieu.
L'histoire est d'abord une
narration plus littéraire que scientifique. L'enquête (en grec : "historia"), si
elle recueille des témoignages sans les critiquer, risque de relater des rumeurs
ou des opinions variables plus que des faits - comme le montre Hérodote. De
plus, elle est accomplie d'un certain point de vue, et n'est jamais
neutre.
Dépendant de la mentalité de son
époque, le narrateur en reflète les idées et préoccupations : Tite-Live relate
comme des faits authentiques les fondations légendaires de Rome, et de Plutarque
au XVIIe siècle, on attend volontiers des "hommes illustres" du passé des leçons
exemplaires - de courage ou de sagesse. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que la
réflexion historique entreprend de rechercher les causes (politiques,
militaires, économiques) de ce qui a eu lieu.
Se voulant dès lors
"scientifique", le récit historique définit plus précisément son matériau
(critique rigoureuse des documents - qui concerne leur authenticité et la
fiabilité de leur contenu) et ses méthodes : aux diverses causalités qu'il peut
concevoir, il adjoint une compréhension des faits. Puisque ceux-ci concernent
des hommes, on doit en déceler la signification - tant pour leurs contemporains
que pour la société ultérieure : l'historien devient l'interprète du
passé.
Fénelon attendait du "bon
historien" qu'il ne fût "d'aucun temps ni d'aucun pays". Exigence aujourd'hui
reconnue comme illusoire : c'est au contraire à partir de son temps et de son
pays que l'historien travaille, et son objectivité consiste beaucoup plus à
exposer ses principes de recherche et d'interprétation qu'à se prétendre
"neutre". C'est pourquoi le récit historique n'est jamais achevé : le passé peut
être redécouvert, "relu" en fonction de principes différents.
Parallèlement aux récits
historiques, les philosophies de l'histoire se proposent de déceler un sens
concernant la totalité des événements. C'est d'abord la pensée chrétienne qui
les influence, en suggérant l'orientation globale d'une temporalité qui trouve
son point de départ dans la Création. Bossuet peut affirmer que les événements,
soumis à la Providence, sont dirigés, par-delà ce que nous croyons être des
malheurs, vers un Bien final.
La réflexion sur le déterminisme
historique se développe au XIXe siècle dans les systèmes de Hegel et de Marx.
Les deux conceptions ont en commun de distinguer l'apparence événementielle, où
s'effectuent les actions des hommes, d'une orientation générale de l'Histoire
qui ne dépendrait pas, en dernière analyse, de leurs volontés. Mais
l'orientation philosophique est radicalement différente. Pour Hegel, la totalité
de l'Histoire est ordonnée par la réalisation progressive de l'Esprit absolu,
qui se joue des passions des "grands hommes" pour les utiliser selon ses propres
fins. Pour Marx, c'est une structure plus concrète, la lutte des classes et sa
"fin", la libération de toute l'humanité, qui détermine les rapports réels entre
les groupes sociaux, indépendamment de la conscience que les hommes peuvent en
prendre. Dans les deux cas cependant, l'aboutissement du devenir semble
prévisible; il manifeste un absolu qui donne leur sens aux événements, le
préparant partiellement, et signifie la fin de l'histoire telle que nous la
connaissons, et le début, pour l'homme, d'une autre façon d'être dans le
temps.
On objecte à de telles
philosophies de l'histoire que la réalité du XXe siècle leur apporte de
sanglants démentis : comment soutenir que le nazisme aurait manifesté une
avancée vers la Raison ? ou que le Goulag illustre la libération du prolétariat
? Plus généralement, c'est toute philosophie affirmant la possibilité du progrès
qui semble en crise. Mais la question se pose alors de savoir si la connaissance
événementielle du passé peut faire l'économie d'une conception qui soit capable
d'y déceler une orientation générale.
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