Lorsque saint Thomas définit la
vérité comme "adéquation de la chose et de l'esprit", il en propose une
conception que paraît confirmer l'expérience quotidienne. Lorsque je dis "Il
pleut", on estime que je dis vrai si, au moment où je parle, la pluie tombe
effectivement : il y a donc accord entre l'expérience et le langage.
Dans ce cas, la vérité qualifie ma
proposition, ou mon jugement, et non la pluie. L'"adéquation" attendue concerne
non "la chose" en elle-même, mais ce que je peux en dire. La chose n'est pas
vraie ou fausse : elle est ou n'est pas, et le fait que je puisse en parler
faussement ne modifie pas sa présence. Si je dis "Il ne pleut pas" au moment
même où la pluie tombe, celle-ci ne s'interrompt pas, et c'est bien mon jugement
qui est faux, tandis que la pluie continue à être.
Dans la mesure où la vérité est
une valeur, elle ne peut en effet appartenir aux choses, puisque celles-ci
n'acquièrent de valeur qu'en raison du projet qu'une conscience forme à leur
égard. La vérité appartient donc au langage, c'est-à-dire à la façon dont
l'esprit rend compte de son rapport aux choses.
En logique classique, le principe
de non-contradiction m'interdit de formuler simultanément et à propos du même
objet une affirmation et sa négation. Je ne peux rationnellement dire "Il pleut
et il ne pleut pas" - du moins relativement à ce dont m'informe ma perception
quant au milieu proche. Je n'ai donc une chance de dire vrai qu'en respectant
certaines règles.
Ces règles sont celles de la
logique, et elles sont bien les seules à considérer dans les discours qui
n'évoquent pas d'objets - par exemple en mathématiques -. La vérité est alors
qualifiée de formelle, puisqu'elle ne s'intéresse qu'à la forme du discours, à
sa cohérence interne. En partant d'un certain nombre de propositions premières,
je devrai respecter les règles de la déduction pour élaborer toutes les
propositions ultérieurement possibles. La rigueur qui caractérise cette vérité
formelle a durablement fasciné la philosophie : Descartes en déduit que
l'évidence est le critère même du vrai, mais l'évidence, outre qu'elle risque
d'être subjective, ne caractérise pas nécessairement les axiomes, et dans les
cas où une démonstration est très longue, elle n'est pas davantage
présente.
Lorsque le langage évoque les
choses du monde, il faut garantir que les termes ou symboles utilisés sont
adaptés à ce que je saisis du monde. Cette vérité matérielle ou empirique
suppose qu'à chaque élément de l'expérience correspond un symbole - dont la
définition doit être stricte et complète : aux exigences de forme s'ajoutent
celles concernant le "contenu" du langage. C'est le cas dans toutes les
sciences, étant admis depuis Kant que leur discours vise, non les choses en
elles-mêmes, mais bien ce qui nous en apparaît (les phénomènes).
En affirmant que notre
connaissance est déterminée par la structure de notre esprit, Kant prend soin
d'indiquer qu'au-delà reste ouvert le domaine de la pensée. C'est donc cette
dernière qui, dépassant l'expérience, doit élaborer la métaphysique, puisqu'elle
n'est constituée que d'idées pures. Comment, dès lors, prétendre accéder à des
vérités métaphysiques ? Ne risque-t-on pas, en l'absence de tout garde-fou, de
dire n'importe quoi (par exemple, en prétendant démontrer l'existence de Dieu) ?
Pour y échapper, faut-il renoncer à la métaphysique ?
Que la science soit le seul
discours qui puisse nous fournir des vérités, c'est ce qu'affirmait l'idéologie
scientiste - dont les chercheurs contemporains se gardent bien. On peut admettre
en effet qu'une place soit réservée pour d'autres vérités que les vérités
scientifiques : vérités morales, religieuses, ou métaphysiques.
Elles ne peuvent être de simples
opinions, injustifiables et susceptibles de refuser toute contradiction. Les
vérités de cet ordre sont respectables si elles visent une certaine cohérence,
ou sont en accord avec des conduites. Lorsque Kant postule l'existence de Dieu,
de l'immortalité de l'âme et de la liberté, c'est précisément pour confirmer la
cohérence globale de la morale et du monde, c'est-à-dire en introduisant
certaines exigences de la vérité formelle dans une métaphysique privée des
critères empiriques de la vérité.
Qu'il s'agisse donc des vérités
auxquelles la science nous donne accès ou de celles dont le domaine est
extra-scientifique, c'est toujours vers des propositions valorisées positivement
que l'esprit se dirige. La recherche des vérités concerne la dignité de la
pensée, et c'est en ce sens qu'elle peut constituer un devoir. A ce dernier
comme à n'importe quel autre, il est possible de désobéir (c'est ce que fait
Nietzsche en choisissant la vie, s'il le faut, contre la vérité) - mais ce doit
être alors en toute conscience de choisir une valeur autre, et non par le fait
de l'ignorance pure et simple.
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