On peut nommer pouvoir la
domination exercée par un homme sur un ou plusieurs autres, de façon à en
obtenir un comportement qui n'apparaîtrait pas spontanément. Si l'on peut
immédiatement évoquer, pour illustrer cette situation, le pouvoir qu'exerce un
supérieur hiérarchique sur ceux qui lui obéissent, en particulier dans le
domaine politique, on doit remarquer que tout pouvoir ne se ramène pas
nécessairement au politique.
La complexité des relations
sociales, la diversité des niveaux de compétence relative, l'importance acquise
dans le corps social par les différents savoirs amènent en effet à signaler
l'existence de pouvoirs diffus, à travers lesquels un ordre autre que politique
trouve à s'exprimer.
Il existe ainsi d'étroites
relations entre le pouvoir et les savoirs, même lorsque ces derniers peuvent
sembler non spécialisés. Ainsi, historiens et ethnologues s'accordent pour
affirmer que l'écriture, dès son origine mais encore dans les relations entre
cultures différentes, symbolise un pouvoir sur celui qui l'ignore. Plus
généralement, la fréquence des expressions désignant le pouvoir appartenant à un
"métier" ou une fonction (pouvoir médical ou psychiatrique, pouvoir
scientifique, pouvoir religieux) signale que le corps social est traversé par
des jeux de pouvoirs qui ne renvoient pas tous directement à l'organisation
politique - même s'ils en participent ou peuvent éventuellement l'influencer de
quelque façon .
On peut s'interroger sur ce qui
légitime particulièrement le pouvoir politique. Le sociologue Max Weber a montré
qu'il en existe trois fondements. Le "pouvoir traditionnel" s'appuie sur
l'habitude de respecter des coutumes. Le pouvoir "charismatique" implique que le
chef possède des qualités exceptionnelles, en raison desquelles on lui obéit par
dévouement personnel. Enfin, dans l'État moderne, le pouvoir est pensé comme
nécessaire en fonction de règles admises collectivement; il est confié à ceux
qui semblent faire preuve de la compétence requise pour bénéficier d'une
autorité légalement instaurée.
Si chaque forme de légitimité
détermine un mode de domination et de sanction particulier, la légitimation
moderne implique que celui qui a un pouvoir n'en abuse pas, c'est-à-dire qu'il
respecte les règles juridiques et inscrit ses actions dans le cadre du droit. On
peut cependant craindre que tout gouvernant ait tendance, sinon "par nature" du
moins par suite d'une tentation permanente, à abuser du pouvoir qui lui a été
confié.
C'est pourquoi Montesquieu, dans
l'Esprit des lois, considère comme nécessaire une séparation des différents
pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), de façon à empêcher l'abus de
pouvoir. Lorsqu'on évoque l'existence, avec la presse, d'un "quatrième pouvoir",
c'est pour indiquer combien l'information du citoyen est utile pour lutter
contre les débordements de ceux qui détiennent le pouvoir. Encore faut-il bien
entendu que la presse elle-même n'abuse pas de ses moyens de persuasion. Il
apparaît ainsi que, dans une démocratie, c'est encore la façon dont sont admises
la critique et la contestation qui semblent les meilleures garanties de la
liberté des citoyens.
Le pouvoir, par définition,
implique l'exercice d'une contrainte (qui peut aller jusqu'à la violence
ouverte). On peut s'interroger sur ce qui amène les citoyens à le supporter, à
s'imposer une "servitude volontaire" (La Boétie). Faut-il, comme Socrate, obéir
à n'importe quel pouvoir, même celui que l'on sait injuste ? Faut-il au
contraire admettre le droit, sinon le devoir, de contester le pouvoir ou de lui
résister ?
Wilhelm Reich a montré
(Psychologie de masse du fascisme) que certaines conditions d'éducation ancrent
dans l'inconscient un désir d'obéissance déterminant une soumission aveugle au
pouvoir, même lorsqu'on devrait prévoir, rationnellement, qu'il s'exercera aux
dépens des sujets qui l'ont établi (ainsi, de nombreux ouvriers allemands ont
voté pour Hitler). Mais il ne s'agit, dans ses analyses, que du pouvoir
politique.
À partir du moment où l'on
reconnaît l'existence de pouvoirs beaucoup plus diffus, que Michel Foucault
qualifie de "sans sommet" pour les distinguer du "pouvoir pyramidal" qui serait
celui de l'ordre politique classique, on entrevoit que la résistance risque
d'être infinie. S'il existe en effet, dans le corps social, de multiples relais
(la famille, l'école, l'art, la prison, le marché économique, etc.) qui
demandent inlassablement l'obéissance de l'individu, ce dernier, pour préserver
sa liberté, est entraîné vers des formes multiples de lutte concernant
alternativement les différentes sortes de pouvoir. C'est dire que ces luttes
sont nécessairement locales ou ponctuelles, et qu'elles sont aussi
interminables.
connectés
Déjà 7248
jours depuis la rentrée 2005-2006 au lycée !