"Citation"
L'amour humain ne se distingue du rut stupide des animaux que par deux fonctions divines : la caresse et le baiser.
Louys (Pierre Louis, dit Pierre)
Le mot "technique" est issu du
grec "technè", qui désigne initialement tout savoir-faire permettant d'obtenir
un résultat attendu. Englobant au départ la pratique artistique, ce savoir-faire
vise plus précisément le production efficace de choses utiles pour
l'homme.
C'est parce que l'homme est au
départ le plus démuni des vivants, qu'il est amené à utiliser d'abord son corps
ou des parties de ce dernier pour travailler. Dans le Protagoras de Platon,
l'homme est qualifié de "nu, sans chaussures, ni couvertures ni armes", et c'est
pour remédier à ce dénuement que Prométhée lui fait présent du feu et de la
connaissance technique. Aristote objecte à ce mythe qu'en fait, l'homme est doté
de la main, qui est "l'outil de loin le plus utile", parce qu'elle en remplace
plusieurs; il considère de surcroît que cette polyvalence de la main va de pair
avec l'intelligence.
L'outil inventé est d'abord un
prolongement du corps et de l'énergie physique. Mais sa mise au point fait
intervenir des capacités intellectuelles telles qu'on peut, selon André
Leroi-Gourhan, considérer son usage comme le caractère distinctif de l'humanité
: concevoir un outil, c'est anticiper sur son utilisation, mais aussi déterminer
sa forme relativement à l'usage qu'on en attend ainsi qu'à l'énergie qu'on lui
appliquera. S'il est vraisemblable, comme l'affirme Bergson, que l'homo faber a
précédé l'homo sapiens, il n'en reste pas moins que le perfectionnement des
outils suppose une capacité à penser et que très vite s'établissent des
relations de complémentarité entre l'activité et la réflexion.
Si l'outil est la médiation entre
l'homme et la nature, son usage peut constituer une grave agression à l'égard du
milieu. Dans de nombreuses sociétés "primitives", la chasse doit ainsi être
précédée de rituels cherchant à se concilier l'esprit des espèces animales dont
on va tuer des représentants; et les forgerons sont fréquemment perçus comme des
individus "sacrés", à la fois respectables et dangereux, parce qu'ils sont en
contact avec les forces secrètes du feu et du sous-sol. Le mythe même de
Prométhée rejette sur un demi-dieu la responsabilité du savoir technique
humain.
Cette ambivalence de la technique,
à la fois bonne pour l'homme et agressive à l'égard de la nature, s'aggrave dans
la littérature du XIXe siècle, ou dans la science-fiction : le confort
progressivement acquis par l'homme s'accompagne d'un danger éventuel, thématisé
dans le Frankenstein de Mary Shelley aussi bien que par les ingénieurs ou
savants fous de Jules Verne.
Aucune technique n'est "neutre" :
sa valeur vient de l'usage qui en est décidé; pour peu qu'elle soit au service
d'une science elle-même mal orientée, c'est la liberté de l'homme, ou même sa
vie, qui se trouve menacée. Pire : le développement des machines peut sembler de
nature à retirer toute initiative à l'homme lui-même, se retrouvant "au service"
d'un fonctionnement qu'il maîtriserait de moins en moins.
Lorsque certains philosophes
évoquent l'existence d'un univers techno-scientifique, cela signifie que
l'ancienne opposition affirmée entre une science "pure", simplement animée par
la volonté de savoir, et une technique "intéressée", déterminée par les intérêts
de l'humanité, n'a plus guère de sens. En fait, la science elle-même a
évidemment besoin d'un appareillage technique de plus en plus conséquent, et
l'élaboration de la technique contemporaine nécessite une quantité
impressionnante de connaissances théoriques. Science et technique sont désormais
étroitement liées.
Ce qui les rapproche, mais d'un
point de vue bien différent, c'est l'ignorance dont fait preuve l'individu à
leur égard. D'un récepteur de télévision, on attend ainsi qu'il fonctionne, sans
qu'il soit nécessaire de connaître les théories scientifiques qui fondent sa
fabrication. L'univers des machines et des appareils techniques dans lequel nous
vivons nous habitue à penser en termes d'efficacité, de coût financier ou de
performance, non en termes de connaissance. D'où un risque pour la société : que
le pouvoir y soit monopolisé par une minorité de techno-scientifiques.
Quant au déploiement et aux
conquêtes de la technique sur la terre, ou même au-delà, il est acquis qu'il
pose de sérieux problèmes d'écologie, mais aussi de relations entre États. La
techno-science a des retombées économiques massives, et l'écart ne peut de ce
point de vue que croître entre les pays techniquement les plus développés et les
autres. Une réflexion sérieuse sur la technique, même si elle commence par
reconnaître sa participation bénéfique à l'histoire de l'humanité, ne peut qu'en
venir à s'interroger sur les buts auxquels elle peut désormais servir et sur les
moyens de mieux en contrôler les développements futurs.
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